lundi 10 mai 2010

Les Entretiens d'Arthos : Julius Evola


Sergio Bonifazi  

Les
 Entretiens d'Arthos : Julius Evola
 
 
Pouvez-vous nous dire brièvement comment vous considérez le soi-disant « fascisme » dont parle, si abondamment la grande presse et ce qu'a été, au contraire, le fascisme historique ?

Le mot « fascisme » est aujourd'hui une épithète péjorative utilisée comme épouvantail et appliquée à tout ce qui s'oppose à la démocratie absolue, au marxisme et au communisme. En ce qui regarde le fascisme historique, on trouvera une analyse de son contenu dans mon livre Le fascisme du point de vue de la Droite.

Quel type de monarchie serait-il nécessaire à un état traditionnel ? Et, en outre, quels sont les rapports qui peuvent s'établir entre la Tradition et le catholicisme ?

Pour se limiter à l'époque moderne, on pourrait faire référence à une « monarchie constitutionnelle autoritaire » comme celle qui a existé en Allemagne au temps de Bismarck.

Le catholicisme est l'une des formes de la Tradition même, sinon des plus complètes et de type supérieur. J'ai déjà écrit : Etre « Traditionnel » en étant catholique revient à être « Traditionnel » à demi.

Beaucoup de personnes, après avoir lu vos œuvres, ne se sentent plus satisfaites par la religion catholique. Pouvez-vous nous dire qui ou quoi peut leur donner l'assurance d'être du côté de la vérité ? Et aussi, quelles normes de vie il leur faut suivre ?

Pour beaucoup de gens, être catholique est déjà au moins quelque chose à condition qu'ils condamnent les effondrements – concessions coupables ? - de l'actuel catholicisme.

Pour qui ne se satisfait pas de ce qu'est en général une religion - catholicisme inclus -, il reste à parcourir les chemins situés hors de cadres institutionnels positifs, ceux de l’auto-réalisation considérés par d’aucuns comme des canauxplus complets de la tradition que seule une minorité peut emprunter et que j’ai indiqué dans plusieurs de mes livres.

Mais avant tout, chacun doit éprouver ses propres possibilités et sa propre qualification et prendre garde de ne pas devenir la victime de sa présomption.

L'Idéalisme de beaucoup de jeunes n'a trait qu’à des problèmes sociaux. Dans le monde moderne les injustices entraînées par l’économie semblent à dire vrai, nombreuse. Pouvez-vous exprimer votre position à ce sujet ?


L'injustice sociale est un slogan dont on abuse. Dans toute société il y a des injustices ; celles qui ont pour origine l'économie peuvent être conjurées mais elles ne doivent pas servir de prétexte à la subversion qui fait feu de tout bois...

Tradition et Droite peuvent-elles être considérées comme la même chose ? Peut-on, un outre, parler d'une « Droite Économique » ?


Pour donner un contenu économique à la vraie Droite, il est indispensable de se référer à la Tradition. La Droite comme classe économique n’a aucun intérêt pour nous car elle offre prise à la lutte des classes marxiste.

Comment celui qui entend témoigner de la Tradition dans son engagement politique doit-il alors se comporter ?
Il est difficile de le dire, si cet engagement doit trouver place dans le cadre de l'un des mouvements politiques existants étant donné qu'aucun d'entre eux ne revêt un caractère intégralement « traditionnel ». Ceci dit, on peut éprouver de la sympathie pour le mouvement de la Destra Nazionale ; mais il faudrait tendre à l'enrichir et à lui donner plus de force en ce qui regarde ses idéaux et sa finalité en en élevant le niveau,

Certains milieux d'inspiration spiritualiste vous accuse d'avoir fait œuvre purement autobiographique en écrivant votre livre Il Cammino del cinabro ce qui, d'après eux, serait incompatible avec l'attitude d'un vrai maître dont la devise devrait être « Qui me voit, voit la Doctrine, ou qui voit la doctrine, me voit ». En quels termes pouvez-leur répondre ?


Cette accusation n'est pas du tout fondée. Le Cammino del cinabro n'est pas une œuvre « purement » autobiographique mais essentiellement la description de la genèse de mes divers ouvrages - en allemand on dirait l’Entstchungsgeschichte -, description dans laquelle les références à moi-même sont réduites au minimum.

Le « vrai maître » peut être laissé de côté. Je ne me suis jamais présenté comme un « Maître ».

Les mêmes milieux parlent d'une attitude erronée à propos de votre conception de l’« Individu absolu » et de l’« exaltation de la puissance » en vous attribuant une sorte de titanisme pétri d’orgueil, alors que, de leur point de vue, il faudrait suivre le chemin opposé : celui de l’effacement de ses propres empreintes, ou encore, de se perdre dans le Dieu qui voit tout en se laissant vivre dans un confiant abandon de religiosité mystique. Qu'en pensez-vous ?

Il faut distinguer deux niveaux bien différents le premier est philosophique : ici entre la théorie de l’individu absolu, ultime développement du soi-disant « idéalisme absolu ». Cette théorie n’a jamais été présentée comme une « voie ». Mais bien plutôt comme une conception philosophique. Quant à la « théorie de la puissance », j'ai posé ses limites en diverses occasions, par exemple, dans la conclusion de la dernière édition de mon livre Le Yoga de la puissance. En se souvenant que la shakti - la puissance – a, ou devrait avoir, pour correspondance shiva - l'Etre. La « religiosité mystique » n'a rien à voir avec la voie initiatique et métaphysique. On peut condamner tout orgueil et considérer une discipline d'auto-effacement, face au moi empirique, sans pour cela finir dans le mysticisme Et devoir suivre la voie « de la dévotion » qui convient seulement à certaines nature et à laquelle aucune prééminence n'a jamais été reconnue.

Souvent dans vos œuvres il est traité de Transcendance individuelle et d'auto-initiation. Pourriez-vous préciser ces notions ?

Je ne voit guère à quoi se réfère votre question. J'ai souvent souligné l'absurdité de l’« auto-initiation ». Par exemple quand j'écrivis contre l'Anthroposophie ou en faisant des réserves à propos de la théorie de Guénon, voir « Limites de la régularité initiatique », dans mon Introduction à la Magie.

De la « transcendance » j'ai surtout parlé en termes d'orientation existentielle, et non comme d'un « phénomène », ou encore j'en ai parlé dans un sens relatif comme dans La Métaphysique du sexe.

Nous vivons maintenant i'époque ultime, la nuit obscure du Kali-yuga. A l'approche de la catastrophe finale et face à l'accélération du rythme de la crise du monde moderne, quelles devraient être selon vous les directives essentielles d'un Ordre de croyants qui entendrait maintenir vivante l'idée Traditionnelle et la transmettre à ceux qui verront la fin du présent cycle ?

Laissons de côté l’« Ordre » et les « croyants ». Il s’agit simplement de maintenir le témoignage de la vision traditionnelle, de la vie et de l'histoire, à l'encontre de la pensée moderne et de la culture profane, comme nous le faisons plus ou moins. Ne dramatisons pas trop la situation en parlant de catastrophes ou de semblables choses et de préoccupations post-diluviennes.

Arthos entend favoriser parmi les jeunes qui le liront le développement du sport, à même du donner naissance à un réveil intérieur. Il s'agit ici, En premier lieu, d'une saine pratique de l'alpinisme. Pourriez-vous, vous qui, dans ce domaine, avez une très vaste, expérience perceptible dans beaucoup de vos écrits peu connus aujourd'hui, nous indiquer quel devrait être, face au sport en général et à l'alpinisme en particulier, le comportement spirituel d'un jeune qui désire rester fidèle aux principes de la Tradition ?

Il ne faut pas faire entrer n'importe où en jeu les « principes de la Tradition ». Ce n'est pas vraiment le cas de parler de « développement d'un sport capable à même de donner naissance à un réveil intérieur », mais, au contraire, (il faut parler) d'arriver à un réveil intérieur, prémisse d'une nouvelle dimension et d'un contenu supérieur donnés aux sports. Ceci dit, manquent chez nous tant les cadres que les bases pour quelque chose de similaire à la pratique - par exemple – des arts martiaux du Japon. (cfr. Le Zen dans le tir à l'arc). Dans l’alpinisme les deux grands écueils sont la technicisation et la routine, j'en parle d'expérience.
notes
Traduction de Jean-François d’Heurtebize.
source
Arthos n°1, septembre-décembre 1972