Julius Evola |
Les spécialistes de l'histoire de l'Europe de la période précédente ont la fâcheuse manie de considérer le bolchevisme plus ou moins comme un phénomène en soi, non pas dans la mesure où ils en ignoreraient les antécédents doctrinaires, c'est-à-dire la première et la seconde Internationale, mais, avant tout, dans la mesure où ils négligent d'étudier le milieu historique et social russe qui devait rendre possible la révolution ; en second lieu, parce qu'ils oublient de rechercher les influences secrètes, les "puissances indirectes" qui ont favorisé le jeu d'une minorité subversive en mettant à sa disposition un concours de circonstances particulier.
Ce n'est pas sur ce second point que nous nous arrêterons ici, car nous aurions à répéter des choses désormais très connues des lecteurs assidus de Vita Italiana, dont, en particulier, l'action secrète concertée contre la Russie tsariste, à partir d'un moment donné, de la haute finance juivo-américaine et de certains milieux anglais mystérieux liés à des personnalités de l'Intelligence Service ; la subvention octroyée directement aux bolcheviques par le consortium Schiff-Warburg, par l'intermédiaire de Trotski ; l'action, liée à des représentants masqués du front de la subversion mondiale comme le fameux juif apatride Parvus Helphand (Goldfandt), qu'ils sont parvenus à exercer sur certains milieux allemands imbus d'eux-mêmes, en exploitant leur machiavélisme myope ; les dessous de la décomposition de l'armée russe, de la défaillance "accidentelle" de certains fournisseurs de matériel militaire à des moments donnés ; et ainsi de suite.
Nous voudrions au contraire souligner les antécédents de la révolution russe, la situation qui l'a rendue possible en fournissant un terrain capable d'accueillir et de faire pousser la mauvaise graine du communisme. Ce faisant, il conviendra de parler d'une personnalité politique russe qui a été presque oubliée, mais qui, si la balle d'un Juif n'avait pas brisé prématurément son existence, aurait sans doute pu faire prendre à l'histoire de son pays une direction fort différente et empêcher que la révolution ne le détruise. Nous voulons parler de Stolypine, premier ministre de la Russie de juin 1906 à septembre 1911 ; il avait obtenu de Nicolas II des pouvoirs presque dictatoriaux. Le comte Malynski, dans un ouvrage récent, a montré la figure de Stolypine sous son vrai jour, tout en faisant une synthèse tellement lucide des précédents de la révolution russe que nous pensons qu'il est intéressant d'en rapporter ici les points principaux (2).
Deux évènements ont virtuellement décidé du sort de la dynastie et de l'empire russes. Le premier a été l'affranchissement des serfs par Alexandre II ; le second, l'industrialisation de l'empire par Alexandre III.
Avant Alexandre II, le système social russe était plus ou moins moyenâgeux. La terre appartenait essentiellement à de grandes familles nobles et à de grands propriétaires, et la classe rurale qui habitait ces terres dépendait entièrement d'eux. Alexandre II a "affranchi" cet élément rural, c'est-à-dire qu'il l'a arraché à la terre, l'a ravalé à une masse de parias nomades. Beaucoup de terres ont été mises à la disposition des "Communes rurales" - les mir - gérées collectivement: ces terres n'appartenaient à personne, la main d'oeuvre occupait tantôt un poste, tantôt l'autre, et, au fond, elle était exploitée et moins bien payée que sous le régime précédent. Auparavant, le paysan était au moins lié à une terre, celle de son seigneur, il savait ainsi qu'il travaillait pour quelqu'un, et il en était souvent fier. Devenu "libre", il a été plus moins transformé en prolétaire, en pur instrument automatique de travail. Ç'a été là, sous Alexandre II, le vrai résultat des "nobles et généreuses idées libérales", et, de fait, la réforme de ce souverain a été saluée par les applaudissements frénétiques de la presse démocratique européenne de l'époque.
La situation s'est aggravée sous Alexandre III. C'est ce souverain qui a entrepris l'industrialisation artificielle et corruptrice de la Russie. On n'a pas songé à profiter de manière organique, dans la mesure des moyens dont on disposait, des ressources naturelles russes, mais on a mis ces ressources à la disposition du capital étranger, encourageant une production destinée à profiter uniquement à un capital omnipotent et à enrichir une nouvelle classe de profiteurs, qui devait faire ressortir de plus en plus l'opposition prolétarienne. Il faut reconnaître que le régime tsariste n'a pas directement voulu en arriver là ; il y a plutôt été poussé. Cette industrialisation de la Russie, fatale au régime patriarcal précédent et destructrice pour l'éthique même des classes supérieures, dans lesquelles l'or devait peu à peu supplanter tous les vrais privilèges, a été dictée par des raisons politiques. Les capitaux ont été essentiellement fournis par la France dans le but de renforcer la Russie, devenue son alliée, dans l'éventualité d'une nouvelle guerre contre l'Allemagne et de la revanche qu'elle attendait avec impatience. Comme elle ne reposait que sur des fonds d'origine étrangère, l'industrie était privée de la base naturelle que constitue une terre qui nourrit son peuple et lui fournit, sans intermédiaires et sans spéculation, ce qui est nécessaire à sa vie. Il s'en est suivi que ceux qui travaillaient ne disposaient pas davantage des moyens directs de vivre ou de faire vivre que ceux qui leur donnaient du travail. Les rapports entre les hommes ont changé. Aux anciennes relations, organiques et spirituelles, se sont substituées des relations régies uniquement par l'argent, jusqu'à ce qu'on en arrive à une opposition pure et simple entre ceux qui avaient le ventre vide et ceux qui avaient le ventre plein. Le sol russe en était arrivé à un tel stade de dégradation matérialiste qu'il était mûr comme peu d'autres pour le ferment subversif de l'idéologie marxiste de la guerre des classes, car c'était un des rares pays où le processus avait été aussi rapide, et le paysan russe, comme le Russe en général, ne connaît pas les moyens termes, les sages compromis: il passe d'un extrême à l'autre. Libéré d'un système patriarcal d'obéissance rigoureuse et aveugle, il peut devenir un anarchiste pur.
C'est ainsi que le mouvement révolutionnaire a commencé à apparaître en Russie, naturellement, non pas de façon spontanée, mais par suite de l'action de noyaux subversifs. On se souvient encore des évènements tragiques de 1905 et de 1906. Mais, à cette époque-là, le phénomène était fort limité. L'effet des habitudes patriarcales séculaires ne pouvait pas disparaître d'un jour à l'autre, et une grande partie du peuple russe, au mépris de ce que la presse internationale laissait entendre, malgré une misère sociale manifeste, était encore immunisé contre le virus répandu par une bande d'énergumènes révolutionnaires.
Le danger pouvait donc encore être écarté ; et, en réalité, Stolypine apparaît comme un homme en quelque sorte providentiel, une personne qui aurait pu tout sauver. Nommé gouverneur d'une province où la révolte paysanne faisait particulièrement rage, il a su y démontrer des qualités telles qu'il s'est immédiatement distingué et que, à la dissolution de la Douma, il a été fait premier ministre de l'empire. Stolypine se proposait de découvrir les causes réelles du phénomène révolutionnaire et de le détruire, dans ces causes, par une action assainissante, non pas répressive mais constructive.
C'est pourquoi, pour se rendre compte de la situation, il n'avait pas fait saisir les programmes et les libelles fabriqués par les démaguoges embusqués, qui prétendaient exprimer "les souffrances du peuple assoiffé de liberté": il s'informait en personne auprès du peuple, qui n'était pas pour lui un mythe avec une majuscule, mais une somme d'individus réels. De la bouche du peuple russe, avec lequel il était en contact direct depuis son enfance, il avait obtenu, partout et toujours, la même réponse. A ce sujet, il convient de rapporter le témoignage de la fille du ministre, Alexandra Stolypine: "C'est vrai, disaient les paysans, c'est vrai, saccager et détruire ne profite à personne". Et, quand on leur a demandé pourquoi ils le faisaient quand même, l'un d'eux a dit, avec l'approbation de ses compagnons: "Ce que je voudrais, c'est un document impérial qui nous rendrait pleinement propriétaires, moi et ma famille, d'un bout de terre. Je pourrais le payer petit à petit, car, grâce à Dieu, il y a des travailleurs dans notre famille ; mais, pour le moment, à quoi bon travailler? Nous aimons la terre, nous essayons de la cultiver le mieux possible, et cette terre, dans laquelle nous avons mis toute notre âme, on nous la prend pour la donner à un autre, et, l'année suivante, la Commune nous envoie travailler ailleurs. Ce que je dis à votre excellence est vrai et beaucoup de mes compagnons pensent ainsi: à quoi bon se fatiguer?".
Alexandra Stolypine ajoute: "Mon père écoutait tous ces discours avec une compassion infinie. Pauvre Russie faite de bois et de chaume, disait-il souvent. En pensée, il voyait les usines florissantes de l'Allemagne voisine, où un peuple calme et tenace accumulait, sur des terrains aux dimensions infiniment plus petites que celles de nos plaines, des récoltes et des économies de plus en plus importantes qui passaient de père en fils. Tournant alors le regard vers l'Oural, il parcourait en pensée la longue route des déportés qui traversait cet empire asiatique russe où, sur un sol vierge, tous les trésors que la nature féconde peut donner dormaient d'un sommeil séculaire".
Malynski dit à juste titre que ces mots renferment toute la genèse du cataclysme russe. C'est là qu'était effectivement l'origine de l'agitation révolutionnaire naissante: l'exaspération engendrée par la misère. C'est là la cause de toutes les révolutions dans l'histoire, et, même dans les révolutions classifiées comme religieuses, le motif confessionnel n'est généralement que ce qui met le feu aux poudres, et non pas le combustible, sans lequel l'incendie ne pourrait pas se généraliser. La cause première de l'agitation populaire russe était la situation sans issue d'une masse qui devait vivre de ce qu'elle semait et récoltait sans plus savoir où semer et récolter, du fait de l'"émancipation" des serfs et de la prolétarisation des autres dans le cadre d'une industrie sans visage, qui se gardait bien d'ajuster les salaires, restés ceux de l'époque précapitaliste, aux profits fabuleux qui formaient les nouvelles fortunes.
Stolypine a été le seul à voir clair dans ces causes et à deviner le vrai remède. Féodal de naissance et d'éducation, il s'est attelé à une tâche inédite et paradoxale: faire d'un féodalisme bien compris et généralisé un principe résolument "révolutionaire" capable de dépasser le capitalisme comme le socialisme. C'est en ce sens que Stolypine étudiait une réforme fondamentale des affaires russes, à laquelle il consacrait toutes ses forces.
Le 9 novembre 1906, il présentait et faisait promulguer une nouvelle loi agraire, qui instaurait la propriété privée rurale. En vertu de cette loi, tout paysan pouvait quitter la Commune et acquérir une parcelle de terrain à crédit, en versant la somme d'argent dont il disposait, le Trésor impérial couvrant la différence jusqu'à ce qu'il ait pu s'en acquitter. Certaines de ces terres appartenaient à l'Etat ; d'autres étaient achetées à bas prix par l'Etat à ceux qui voulaient s'en défaire. Par suite de cette loi, un demi-million de chefs de famille sont entrés presque immédiatement en possession d'environ quatre millions d'hectares.
C'était là le premier point du programme de Stolypine. C'était, pour ainsi dire, la première mesure d'urgence, destinée à enrayer l'agitation révolutionnaire croissante et à assurer une tranquilité relative, nécessaire pour la seconde phase. Cette seconde phase avait pour but de valoriser les terres presque vierges de la partie asiatique et orientale de l'empire, non pas au sens capitaliste, mais dans le cadre d'une économie nationale fermée, d'une véritable autarcie qui devait s'articuler sur le modèle du régime féodal. Mais, pour en arriver là, il fallait d'abord résoudre le problème des moyens de communication. C'est donc là que Stolypine commence la construction du transsibérien du Sud.
Il y avait déjà un transsibérien, construit sur l'initiative de Witte ; il reflétait cependant de manière frappante les conceptions capitalistes de ce ministre. En effet, il avait été tracé dans le but évident de relier l'Europe et la partie la plus peuplée de la Russie à l'Extrême-Orient, au service des intérêts qu'avaient en Orient les grands financiers de Paris, de Londres et de Berlin: il ne visait nullement à atteindre les contrées russes les plus fertiles et les plus appropriées à la colonisation intérieure. Telle était au contraire l'idée qui présidait au plan du transsibérien du Sud, voulu par Stolypine. Son but était de déplacer vers l'Orient la main d'oeuvre russe. Il devait en résulter la destruction de la tyrannie capitaliste, un système de changes équilibré, une industrie fondée sur les besoins réels et non sur l'utilisation et la multiplication de capitaux anonymes et même étrangers, qui n'étaient destinés qu'à la précipiter dans une activité excessive et désordonnée.
Malynski écrit: "En 1895, après trente ans de domination russe, la Sibérie, beaucoup plus étendue que toute l'Europe, avait quatre millions d'habitants, dont une partie était composée de déportés. Entre 1895 et 1907, entre l'inauguration du premier transsibérien et l'arrivée au pouvoir de Stolypine, cette population avait augmenté d'un million et demi. Mais, dans les trois années suivantes, sous Stolypine, elle a augmenté de deux millions, bien que le nouveau chemin de fer n'ait pas encore été achevé. Tout laisse à penser que, du fait du nouveau chemin de fer, le gouvernement consacrant toute son énergie à secouer l'inertie séculaire du peuple russe, la population de la Sibérie aurait pu être de trente à quarante millions d'habitants entre 1920 et 1930. Et il ne se serait pas agi de trente ou quarante millions de prolétaires livides en quête d'un salaire incertain, mais bien de trente ou quarante millions de petits propriétaires aisés et prospères, d'hommes heureux de vivre, à l'avenir assuré, satisfaits de leur sort, économiquement indépendants autant qu'il est possible de l'être, qui auraient constitué par là même un formidable frein à toute révolution, une force conservatrice et réactionnaire comme aucun pays ni aucune partie du monde n'en possède".
Naturellement, les petites propriétés auraient coexisté avec les grandes, qui auraient été en quelque sorte leur centre de gravité et auraient pu développer des formes autonomes d'industrie, excluant les éléments étrangers ou les intermédiaires, jusqu'à la formation d'un système de trust dans le sens horizontal comme dans le sens vertical. Contrairement à l'industrialisme capitaliste, il aurait été rigoureusement fondé sur la propriété privée, la réalité substantielle des valeurs, la stabilité d'un crédit exclusivement mutualiste qui aurait été amorti en circuit fermé et aurait été couvert par la réciprocité des services et des prestations personnelles. Le jour où on en serait arrivé là, la supériorité du régime de la propriété privée sur le système capitaliste anonyme, qui dissout toutes les valeurs substantielles en quelque chose de fluide, d'anodin et d'ambigu, aurait été manifeste et aurait montré sous un jour peu flatteur cette époque où on croyait qu'il n'y avait pas d'autre issue pour le genre humain que l'alternative entre le communisme juif et le capitalisme israëlite, formules convergentes qui n'aboutissent qu'à la dépersonnalisation et au nivellement.
Comme le constate Malynski, une crise comme celle dont souffre actuellement une grande partie du monde, crise paradoxale de la surproduction, aurait été inimaginable dans un système de propriété articulée au sens susdit, souhaité par Stolypine. Sous un tel régime, une crise semblable se transformerait en une bénédiction du ciel. Quand le capitalisme a pour résultat que la surabondance crée la misère et que, en contrepartie, le crédit crée la fortune, on peut dire qu'il s'est vraiment discrédité et condamné. Malheureusement, le seul qui semble tirer profit de cette absurdité, souvent, c'est le socialisme, qui est un capitalisme au carré.
Au début du siècle, un homme avait proposé une autre solution et avait même commencé à l'appliquer: Stolypine. De nombreux facteurs facilitaient son oeuvre. En premier lieu, les possibilités du sol russe, susceptibles de faire effectivement de l'empire un régime autarcique. En second lieu, la force que les anciennes traditions conservaient encore, le sentiment, encore vif, qu'entre un propriétaire et un roi, entre un patrimoine ancestral et une patrie, il n'y avait qu'une différence de degré dans une même échelle de valeurs, non pas matérielles, mais, avant tout, spirituelles. Enfin, la promptitude de la couche rurale russe restée saine à obéir loyalement, le fait qu'elle n'ait pas été contaminée par la mentalité capitaliste, qui lui était inconnue et étrangère avant les mauvais exemples récents. Stolypine aurait donc pu atteindre son but, faire de la Russie chaotique et inquiète un chef-d'oeuvre d'un type inédit.
Mais, pour en arriver là, il aurait fallu couper l'herbe sous le pied à Israël, déjouer la manoeuvre du "peuple élu", dans les deux points stratégiques fondamentaux de son offensive moderne: le capitalisme et le socialisme. Et c'est la raison pour laquelle Stolypine, bien qu'il n'ait manifesté aucune hostilité spéciale envers les Juifs, est devenu leur bête noire ; la presse internationale, qu'ils subventionnaient, a entrepris de le dépeindre comme un tyran, une bête sanguinaire, un oppresseur, alors que, en grand féodal, il avait été un libéral hors-pair en créant d'innombrables propriétés, et, par suite, autant de libertés, et en n'aspirant qu'à sauver sa patrie, ce qui était possible, du piège de la finance anonyme et apatride. Sous Stolypine, contrairement à ce qui s'était passé à d'autres époques, il n'y pas eu de pogrom en Russie. Mais si Stolypine n'a pas poursuivi individuellement les Juifs, il leur a fait collectivement plus de mal que s'il en avait fait exterminer froidement quelques dizaines de milliers. En effet, il était évident que, par son action, il allait rendre impossible l'existence de parasites et détruire ce qui rendait possible l'asservissement de la Russie à l'Internationale financière juive, aussi bien que les manoeuvres subversives de l'Internationale socialiste juive. Les Juifs, qui ne voyaient pas comment vivre autrement et ne voulaient pas vivre autrement en Russie, n'avaient que la triste perspective de s'en aller, d'émigrer. C'est ainsi que, en Russie, jamais autant de Juifs n'avaient fait une demande de passeport, principalement pour les Etats-Unis, terre promise du capitalisme, que sous le régime de Stolypine. Le gouvernement, naturellement, ne se faisait pas prier pour les délivrer, et Stolypine a donc fortement contribué à faire augmenter la population des ghettos des métropoles américaines et européennes. Comme le dit bien Malynski, les misérables fuyaient la Russie, cette nouvelle Egypte, où ils n'étaient cependant pas obligés de construire, sous le fouet, des pyramides.
Mais cela ne pouvait pas durer longtemps. Les chefs du front secret de la subversion mondiale devaient s'entendre pour "écraser l'infâme". Israël, on le sait, ne pardonne pas: "celui qui se heurte à Israël ne connaîtra ni paix ni sommeil", comme le dit leur tradition. Supprimer d'un seul coup le capitalisme simple et le capitalisme au carré, capitalisme d'Etat qui devait être bâti après que le collectivisme communiste aurait tout détruit, c'était vraiment trop ; et il ne s'agissait pas là d'un petit Etat, mais de la Russie, aussi grande, à elle seule, qu'un continent.
A ceux qui accusent les "hallucinés de la conspiration mondiale" (3), nous dirons donc que ce n'est pas par hasard que, un beau jour, la villa de Stolypine a été réduite en cendres par une bombe lancée par des Juifs déguisés en fonctionnaires. Une centaine d'innocents ont péri, et si le ministre en est sorti indemne, ses enfants ont été estropiés. Par la suite, les complots se sont multipliés, tous déjoués par la police. Jusqu'à ce que, un jour, l'irréparable se produise. En septembre 1911, à Kiev, lors d'un gala à l'opéra, un agent de police en tenue de soirée s'approche de Stolypine sans se faire remarquer et décharge sur lui son revolver. De nouveau, c'était, par hasard, un Juif (4).
Stolypine expirait quelques jours plus tard. L'Europe n'y a pas accordé plus d'importance qu'à n'importe quel autre attentat ; "C'est comme ça en Russie", a-t-on dit. Mais, en réalité, celui qui se rendait compte de l'enchaînement des causes et des effets voyait que ce malheur était irréparable. Comme le dit à juste titre Malynski, au point de vue historique, ce n'était pas seulement un ministre qui avait été abattu par une balle juive, c'était la possibilité même d'une future grande Russie forte qui avait été brisée, car il est bientôt apparu clairement que personne n'aurait plus été en mesure d'assumer l'héritage de Stolypine, de continuer son oeuvre avec la même clairvoyance et la même détermination. Stolypine vivant, la révolution aurait vraisemblablement été prévue et évitée, malgré la guerre ; mais le "destin", terme qui est ici synonyme de conspiration occulte, en avait décidé autrement. Nicolas II, en signant son abdication, aurait dit: "Si Stolypine avait été là, cela ne serait pas arrivé".
Le fait que, malgré vingt ans de bolchevisme, il reste encore aujourd'hui des traces de la réforme antisocialiste et anticapitaliste de Stolypine montre ce qu'elle aurait pu signifier pour l'avenir de la Russie, si elle avait été réalisée. Les forces qui ont détruit en Russie l'empire, la dynastie, la noblesse, l'ordre social traditionnel, ne sont pas encore parvenues à briser l'obstacle que constituent les restes d'une paysannerie relativement aisée de propriétaires privés, libres sur leurs terres: les millions d'hommes que Stolypine a libérés de l'esclavage des Communes rurales et dont il a fait des propriétaires indépendants en réalisant la première phase de son programme. Ils résistent encore avec ténacité au communisme et nourrissent un profond sentiment de révolte envers la dictature juivo-soviétique qui les oblige à mener une existence misérable ; ce sentiment portera ses fruits. Malynski dit: "Nous assistons donc à un spectacle intéressant. Il a été plus facile d'anéantir des siècles d'histoire que de détruire l'oeuvre récente d'un seul homme, qui n'a été au pouvoir que pendant quatre ans. Si la plus importante tentative de collectivisation de toute l'histoire échoue, l'ombre du grand créateur féodal, dont notre génération a presque oublié le nom, quarante ans après sa mort, aura vaincu. Le bolchevisme a facilement triomphé des vivants, mais ce mort qu'une balle juive ne peut tuer une seconde fois est son vrai danger. C'est la meilleure oraison funèbre que l'on puisse faire au ministre de Nicolas II, et c'est l'histoire qui la prononce devant nous, sur cette tombe oubliée".
Nous pensons donc qu'il n'a pas été inintéressant d'attirer l'attention de nos lecteurs sur cet épisode aussi important que peu connu de la guerre occulte, ne serait-ce que parce que Stolypine est en même temps le symbole d'une voie, la voie traditionnelle. Dans l'ordre spirituel et éthique comme dans l'ordre matériel et économique et pour tout ce qui a trait aux problèmes de la terre et de la propriété, c'est la seule voie à suivre pour une vraie reconstruction ; elle représente par là même l'objectif que, par tous les moyens, directs ou indirects, le front secret de la subversion mondiale a essayé, essaie et essaiera de plus en plus de rendre irréalisable.
Julius Evola
(cet article est paru dans La Vita Italiana en janvier 1939).
(c) Traduction :: Thompkins& Cariou :: Site
1.Selon le témoignage de la princesse Palev, Lloyd George, à l'annonce de la première révolution russe et de l'abdication du tsar, se serait exclamé: "Un des buts de la guerre de l'Angleterre est atteint". Le tsar avait déjà eu l'occasion de protester auprès du gouvernement anglais du fait que le logement de Sir Buchanan, l'ambassadeur britannique, servait de lieu de rencontre aux révolutionnaires qui devaient ensuite former le gouvernement provisoire, mais en vain. Enfin, l'Angleterre, qui devait s'empresser de mettre à la disposition de l'Abyssinie un de ses navires de guerre pour embarquer le Négus, a trouvé le moyen de refuser au tsar, parent du roi d'Angleterre, l'aide qui lui aurait permis de quitter la Russie sous la protection du drapeau anglais et d'échapper ainsi au sort prévisible qui l'attendait.
2.Il s'agit des chapitres XVI-XVII de "La Guerre occulte", écrit par Malynski en collaboration avec le vicomte de Poncins, et c'est donc sur cette oeuvre que nous nous appuierons ici. Particulièrement important pour celui qui veut pénétrer les dessous des évènements historiques qui se sont déroulés de la Sainte Alliance au bolchevisme, il est sur le point d'être publié en traduction italienne par l'éditeur Hoepli.
3.L'expression est de Léon de Poncins, "La Mystérieuse Internationale Juive", Editions Beauchesne, Paris.
4.Il est à souligner que Lénine, égal à lui-même, décrit cet attentat comme "la mise à mort du pendeur en chef Stolypine" (Oeuvres, tome XVII, "Stolypine et la Révolution", décembre 1910 - avril 1912)
Ce n'est pas sur ce second point que nous nous arrêterons ici, car nous aurions à répéter des choses désormais très connues des lecteurs assidus de Vita Italiana, dont, en particulier, l'action secrète concertée contre la Russie tsariste, à partir d'un moment donné, de la haute finance juivo-américaine et de certains milieux anglais mystérieux liés à des personnalités de l'Intelligence Service ; la subvention octroyée directement aux bolcheviques par le consortium Schiff-Warburg, par l'intermédiaire de Trotski ; l'action, liée à des représentants masqués du front de la subversion mondiale comme le fameux juif apatride Parvus Helphand (Goldfandt), qu'ils sont parvenus à exercer sur certains milieux allemands imbus d'eux-mêmes, en exploitant leur machiavélisme myope ; les dessous de la décomposition de l'armée russe, de la défaillance "accidentelle" de certains fournisseurs de matériel militaire à des moments donnés ; et ainsi de suite.
Nous voudrions au contraire souligner les antécédents de la révolution russe, la situation qui l'a rendue possible en fournissant un terrain capable d'accueillir et de faire pousser la mauvaise graine du communisme. Ce faisant, il conviendra de parler d'une personnalité politique russe qui a été presque oubliée, mais qui, si la balle d'un Juif n'avait pas brisé prématurément son existence, aurait sans doute pu faire prendre à l'histoire de son pays une direction fort différente et empêcher que la révolution ne le détruise. Nous voulons parler de Stolypine, premier ministre de la Russie de juin 1906 à septembre 1911 ; il avait obtenu de Nicolas II des pouvoirs presque dictatoriaux. Le comte Malynski, dans un ouvrage récent, a montré la figure de Stolypine sous son vrai jour, tout en faisant une synthèse tellement lucide des précédents de la révolution russe que nous pensons qu'il est intéressant d'en rapporter ici les points principaux (2).
Deux évènements ont virtuellement décidé du sort de la dynastie et de l'empire russes. Le premier a été l'affranchissement des serfs par Alexandre II ; le second, l'industrialisation de l'empire par Alexandre III.
Avant Alexandre II, le système social russe était plus ou moins moyenâgeux. La terre appartenait essentiellement à de grandes familles nobles et à de grands propriétaires, et la classe rurale qui habitait ces terres dépendait entièrement d'eux. Alexandre II a "affranchi" cet élément rural, c'est-à-dire qu'il l'a arraché à la terre, l'a ravalé à une masse de parias nomades. Beaucoup de terres ont été mises à la disposition des "Communes rurales" - les mir - gérées collectivement: ces terres n'appartenaient à personne, la main d'oeuvre occupait tantôt un poste, tantôt l'autre, et, au fond, elle était exploitée et moins bien payée que sous le régime précédent. Auparavant, le paysan était au moins lié à une terre, celle de son seigneur, il savait ainsi qu'il travaillait pour quelqu'un, et il en était souvent fier. Devenu "libre", il a été plus moins transformé en prolétaire, en pur instrument automatique de travail. Ç'a été là, sous Alexandre II, le vrai résultat des "nobles et généreuses idées libérales", et, de fait, la réforme de ce souverain a été saluée par les applaudissements frénétiques de la presse démocratique européenne de l'époque.
La situation s'est aggravée sous Alexandre III. C'est ce souverain qui a entrepris l'industrialisation artificielle et corruptrice de la Russie. On n'a pas songé à profiter de manière organique, dans la mesure des moyens dont on disposait, des ressources naturelles russes, mais on a mis ces ressources à la disposition du capital étranger, encourageant une production destinée à profiter uniquement à un capital omnipotent et à enrichir une nouvelle classe de profiteurs, qui devait faire ressortir de plus en plus l'opposition prolétarienne. Il faut reconnaître que le régime tsariste n'a pas directement voulu en arriver là ; il y a plutôt été poussé. Cette industrialisation de la Russie, fatale au régime patriarcal précédent et destructrice pour l'éthique même des classes supérieures, dans lesquelles l'or devait peu à peu supplanter tous les vrais privilèges, a été dictée par des raisons politiques. Les capitaux ont été essentiellement fournis par la France dans le but de renforcer la Russie, devenue son alliée, dans l'éventualité d'une nouvelle guerre contre l'Allemagne et de la revanche qu'elle attendait avec impatience. Comme elle ne reposait que sur des fonds d'origine étrangère, l'industrie était privée de la base naturelle que constitue une terre qui nourrit son peuple et lui fournit, sans intermédiaires et sans spéculation, ce qui est nécessaire à sa vie. Il s'en est suivi que ceux qui travaillaient ne disposaient pas davantage des moyens directs de vivre ou de faire vivre que ceux qui leur donnaient du travail. Les rapports entre les hommes ont changé. Aux anciennes relations, organiques et spirituelles, se sont substituées des relations régies uniquement par l'argent, jusqu'à ce qu'on en arrive à une opposition pure et simple entre ceux qui avaient le ventre vide et ceux qui avaient le ventre plein. Le sol russe en était arrivé à un tel stade de dégradation matérialiste qu'il était mûr comme peu d'autres pour le ferment subversif de l'idéologie marxiste de la guerre des classes, car c'était un des rares pays où le processus avait été aussi rapide, et le paysan russe, comme le Russe en général, ne connaît pas les moyens termes, les sages compromis: il passe d'un extrême à l'autre. Libéré d'un système patriarcal d'obéissance rigoureuse et aveugle, il peut devenir un anarchiste pur.
C'est ainsi que le mouvement révolutionnaire a commencé à apparaître en Russie, naturellement, non pas de façon spontanée, mais par suite de l'action de noyaux subversifs. On se souvient encore des évènements tragiques de 1905 et de 1906. Mais, à cette époque-là, le phénomène était fort limité. L'effet des habitudes patriarcales séculaires ne pouvait pas disparaître d'un jour à l'autre, et une grande partie du peuple russe, au mépris de ce que la presse internationale laissait entendre, malgré une misère sociale manifeste, était encore immunisé contre le virus répandu par une bande d'énergumènes révolutionnaires.
Le danger pouvait donc encore être écarté ; et, en réalité, Stolypine apparaît comme un homme en quelque sorte providentiel, une personne qui aurait pu tout sauver. Nommé gouverneur d'une province où la révolte paysanne faisait particulièrement rage, il a su y démontrer des qualités telles qu'il s'est immédiatement distingué et que, à la dissolution de la Douma, il a été fait premier ministre de l'empire. Stolypine se proposait de découvrir les causes réelles du phénomène révolutionnaire et de le détruire, dans ces causes, par une action assainissante, non pas répressive mais constructive.
C'est pourquoi, pour se rendre compte de la situation, il n'avait pas fait saisir les programmes et les libelles fabriqués par les démaguoges embusqués, qui prétendaient exprimer "les souffrances du peuple assoiffé de liberté": il s'informait en personne auprès du peuple, qui n'était pas pour lui un mythe avec une majuscule, mais une somme d'individus réels. De la bouche du peuple russe, avec lequel il était en contact direct depuis son enfance, il avait obtenu, partout et toujours, la même réponse. A ce sujet, il convient de rapporter le témoignage de la fille du ministre, Alexandra Stolypine: "C'est vrai, disaient les paysans, c'est vrai, saccager et détruire ne profite à personne". Et, quand on leur a demandé pourquoi ils le faisaient quand même, l'un d'eux a dit, avec l'approbation de ses compagnons: "Ce que je voudrais, c'est un document impérial qui nous rendrait pleinement propriétaires, moi et ma famille, d'un bout de terre. Je pourrais le payer petit à petit, car, grâce à Dieu, il y a des travailleurs dans notre famille ; mais, pour le moment, à quoi bon travailler? Nous aimons la terre, nous essayons de la cultiver le mieux possible, et cette terre, dans laquelle nous avons mis toute notre âme, on nous la prend pour la donner à un autre, et, l'année suivante, la Commune nous envoie travailler ailleurs. Ce que je dis à votre excellence est vrai et beaucoup de mes compagnons pensent ainsi: à quoi bon se fatiguer?".
Alexandra Stolypine ajoute: "Mon père écoutait tous ces discours avec une compassion infinie. Pauvre Russie faite de bois et de chaume, disait-il souvent. En pensée, il voyait les usines florissantes de l'Allemagne voisine, où un peuple calme et tenace accumulait, sur des terrains aux dimensions infiniment plus petites que celles de nos plaines, des récoltes et des économies de plus en plus importantes qui passaient de père en fils. Tournant alors le regard vers l'Oural, il parcourait en pensée la longue route des déportés qui traversait cet empire asiatique russe où, sur un sol vierge, tous les trésors que la nature féconde peut donner dormaient d'un sommeil séculaire".
Malynski dit à juste titre que ces mots renferment toute la genèse du cataclysme russe. C'est là qu'était effectivement l'origine de l'agitation révolutionnaire naissante: l'exaspération engendrée par la misère. C'est là la cause de toutes les révolutions dans l'histoire, et, même dans les révolutions classifiées comme religieuses, le motif confessionnel n'est généralement que ce qui met le feu aux poudres, et non pas le combustible, sans lequel l'incendie ne pourrait pas se généraliser. La cause première de l'agitation populaire russe était la situation sans issue d'une masse qui devait vivre de ce qu'elle semait et récoltait sans plus savoir où semer et récolter, du fait de l'"émancipation" des serfs et de la prolétarisation des autres dans le cadre d'une industrie sans visage, qui se gardait bien d'ajuster les salaires, restés ceux de l'époque précapitaliste, aux profits fabuleux qui formaient les nouvelles fortunes.
Stolypine a été le seul à voir clair dans ces causes et à deviner le vrai remède. Féodal de naissance et d'éducation, il s'est attelé à une tâche inédite et paradoxale: faire d'un féodalisme bien compris et généralisé un principe résolument "révolutionaire" capable de dépasser le capitalisme comme le socialisme. C'est en ce sens que Stolypine étudiait une réforme fondamentale des affaires russes, à laquelle il consacrait toutes ses forces.
Le 9 novembre 1906, il présentait et faisait promulguer une nouvelle loi agraire, qui instaurait la propriété privée rurale. En vertu de cette loi, tout paysan pouvait quitter la Commune et acquérir une parcelle de terrain à crédit, en versant la somme d'argent dont il disposait, le Trésor impérial couvrant la différence jusqu'à ce qu'il ait pu s'en acquitter. Certaines de ces terres appartenaient à l'Etat ; d'autres étaient achetées à bas prix par l'Etat à ceux qui voulaient s'en défaire. Par suite de cette loi, un demi-million de chefs de famille sont entrés presque immédiatement en possession d'environ quatre millions d'hectares.
C'était là le premier point du programme de Stolypine. C'était, pour ainsi dire, la première mesure d'urgence, destinée à enrayer l'agitation révolutionnaire croissante et à assurer une tranquilité relative, nécessaire pour la seconde phase. Cette seconde phase avait pour but de valoriser les terres presque vierges de la partie asiatique et orientale de l'empire, non pas au sens capitaliste, mais dans le cadre d'une économie nationale fermée, d'une véritable autarcie qui devait s'articuler sur le modèle du régime féodal. Mais, pour en arriver là, il fallait d'abord résoudre le problème des moyens de communication. C'est donc là que Stolypine commence la construction du transsibérien du Sud.
Il y avait déjà un transsibérien, construit sur l'initiative de Witte ; il reflétait cependant de manière frappante les conceptions capitalistes de ce ministre. En effet, il avait été tracé dans le but évident de relier l'Europe et la partie la plus peuplée de la Russie à l'Extrême-Orient, au service des intérêts qu'avaient en Orient les grands financiers de Paris, de Londres et de Berlin: il ne visait nullement à atteindre les contrées russes les plus fertiles et les plus appropriées à la colonisation intérieure. Telle était au contraire l'idée qui présidait au plan du transsibérien du Sud, voulu par Stolypine. Son but était de déplacer vers l'Orient la main d'oeuvre russe. Il devait en résulter la destruction de la tyrannie capitaliste, un système de changes équilibré, une industrie fondée sur les besoins réels et non sur l'utilisation et la multiplication de capitaux anonymes et même étrangers, qui n'étaient destinés qu'à la précipiter dans une activité excessive et désordonnée.
Malynski écrit: "En 1895, après trente ans de domination russe, la Sibérie, beaucoup plus étendue que toute l'Europe, avait quatre millions d'habitants, dont une partie était composée de déportés. Entre 1895 et 1907, entre l'inauguration du premier transsibérien et l'arrivée au pouvoir de Stolypine, cette population avait augmenté d'un million et demi. Mais, dans les trois années suivantes, sous Stolypine, elle a augmenté de deux millions, bien que le nouveau chemin de fer n'ait pas encore été achevé. Tout laisse à penser que, du fait du nouveau chemin de fer, le gouvernement consacrant toute son énergie à secouer l'inertie séculaire du peuple russe, la population de la Sibérie aurait pu être de trente à quarante millions d'habitants entre 1920 et 1930. Et il ne se serait pas agi de trente ou quarante millions de prolétaires livides en quête d'un salaire incertain, mais bien de trente ou quarante millions de petits propriétaires aisés et prospères, d'hommes heureux de vivre, à l'avenir assuré, satisfaits de leur sort, économiquement indépendants autant qu'il est possible de l'être, qui auraient constitué par là même un formidable frein à toute révolution, une force conservatrice et réactionnaire comme aucun pays ni aucune partie du monde n'en possède".
Naturellement, les petites propriétés auraient coexisté avec les grandes, qui auraient été en quelque sorte leur centre de gravité et auraient pu développer des formes autonomes d'industrie, excluant les éléments étrangers ou les intermédiaires, jusqu'à la formation d'un système de trust dans le sens horizontal comme dans le sens vertical. Contrairement à l'industrialisme capitaliste, il aurait été rigoureusement fondé sur la propriété privée, la réalité substantielle des valeurs, la stabilité d'un crédit exclusivement mutualiste qui aurait été amorti en circuit fermé et aurait été couvert par la réciprocité des services et des prestations personnelles. Le jour où on en serait arrivé là, la supériorité du régime de la propriété privée sur le système capitaliste anonyme, qui dissout toutes les valeurs substantielles en quelque chose de fluide, d'anodin et d'ambigu, aurait été manifeste et aurait montré sous un jour peu flatteur cette époque où on croyait qu'il n'y avait pas d'autre issue pour le genre humain que l'alternative entre le communisme juif et le capitalisme israëlite, formules convergentes qui n'aboutissent qu'à la dépersonnalisation et au nivellement.
Comme le constate Malynski, une crise comme celle dont souffre actuellement une grande partie du monde, crise paradoxale de la surproduction, aurait été inimaginable dans un système de propriété articulée au sens susdit, souhaité par Stolypine. Sous un tel régime, une crise semblable se transformerait en une bénédiction du ciel. Quand le capitalisme a pour résultat que la surabondance crée la misère et que, en contrepartie, le crédit crée la fortune, on peut dire qu'il s'est vraiment discrédité et condamné. Malheureusement, le seul qui semble tirer profit de cette absurdité, souvent, c'est le socialisme, qui est un capitalisme au carré.
Au début du siècle, un homme avait proposé une autre solution et avait même commencé à l'appliquer: Stolypine. De nombreux facteurs facilitaient son oeuvre. En premier lieu, les possibilités du sol russe, susceptibles de faire effectivement de l'empire un régime autarcique. En second lieu, la force que les anciennes traditions conservaient encore, le sentiment, encore vif, qu'entre un propriétaire et un roi, entre un patrimoine ancestral et une patrie, il n'y avait qu'une différence de degré dans une même échelle de valeurs, non pas matérielles, mais, avant tout, spirituelles. Enfin, la promptitude de la couche rurale russe restée saine à obéir loyalement, le fait qu'elle n'ait pas été contaminée par la mentalité capitaliste, qui lui était inconnue et étrangère avant les mauvais exemples récents. Stolypine aurait donc pu atteindre son but, faire de la Russie chaotique et inquiète un chef-d'oeuvre d'un type inédit.
Mais, pour en arriver là, il aurait fallu couper l'herbe sous le pied à Israël, déjouer la manoeuvre du "peuple élu", dans les deux points stratégiques fondamentaux de son offensive moderne: le capitalisme et le socialisme. Et c'est la raison pour laquelle Stolypine, bien qu'il n'ait manifesté aucune hostilité spéciale envers les Juifs, est devenu leur bête noire ; la presse internationale, qu'ils subventionnaient, a entrepris de le dépeindre comme un tyran, une bête sanguinaire, un oppresseur, alors que, en grand féodal, il avait été un libéral hors-pair en créant d'innombrables propriétés, et, par suite, autant de libertés, et en n'aspirant qu'à sauver sa patrie, ce qui était possible, du piège de la finance anonyme et apatride. Sous Stolypine, contrairement à ce qui s'était passé à d'autres époques, il n'y pas eu de pogrom en Russie. Mais si Stolypine n'a pas poursuivi individuellement les Juifs, il leur a fait collectivement plus de mal que s'il en avait fait exterminer froidement quelques dizaines de milliers. En effet, il était évident que, par son action, il allait rendre impossible l'existence de parasites et détruire ce qui rendait possible l'asservissement de la Russie à l'Internationale financière juive, aussi bien que les manoeuvres subversives de l'Internationale socialiste juive. Les Juifs, qui ne voyaient pas comment vivre autrement et ne voulaient pas vivre autrement en Russie, n'avaient que la triste perspective de s'en aller, d'émigrer. C'est ainsi que, en Russie, jamais autant de Juifs n'avaient fait une demande de passeport, principalement pour les Etats-Unis, terre promise du capitalisme, que sous le régime de Stolypine. Le gouvernement, naturellement, ne se faisait pas prier pour les délivrer, et Stolypine a donc fortement contribué à faire augmenter la population des ghettos des métropoles américaines et européennes. Comme le dit bien Malynski, les misérables fuyaient la Russie, cette nouvelle Egypte, où ils n'étaient cependant pas obligés de construire, sous le fouet, des pyramides.
Mais cela ne pouvait pas durer longtemps. Les chefs du front secret de la subversion mondiale devaient s'entendre pour "écraser l'infâme". Israël, on le sait, ne pardonne pas: "celui qui se heurte à Israël ne connaîtra ni paix ni sommeil", comme le dit leur tradition. Supprimer d'un seul coup le capitalisme simple et le capitalisme au carré, capitalisme d'Etat qui devait être bâti après que le collectivisme communiste aurait tout détruit, c'était vraiment trop ; et il ne s'agissait pas là d'un petit Etat, mais de la Russie, aussi grande, à elle seule, qu'un continent.
A ceux qui accusent les "hallucinés de la conspiration mondiale" (3), nous dirons donc que ce n'est pas par hasard que, un beau jour, la villa de Stolypine a été réduite en cendres par une bombe lancée par des Juifs déguisés en fonctionnaires. Une centaine d'innocents ont péri, et si le ministre en est sorti indemne, ses enfants ont été estropiés. Par la suite, les complots se sont multipliés, tous déjoués par la police. Jusqu'à ce que, un jour, l'irréparable se produise. En septembre 1911, à Kiev, lors d'un gala à l'opéra, un agent de police en tenue de soirée s'approche de Stolypine sans se faire remarquer et décharge sur lui son revolver. De nouveau, c'était, par hasard, un Juif (4).
Stolypine expirait quelques jours plus tard. L'Europe n'y a pas accordé plus d'importance qu'à n'importe quel autre attentat ; "C'est comme ça en Russie", a-t-on dit. Mais, en réalité, celui qui se rendait compte de l'enchaînement des causes et des effets voyait que ce malheur était irréparable. Comme le dit à juste titre Malynski, au point de vue historique, ce n'était pas seulement un ministre qui avait été abattu par une balle juive, c'était la possibilité même d'une future grande Russie forte qui avait été brisée, car il est bientôt apparu clairement que personne n'aurait plus été en mesure d'assumer l'héritage de Stolypine, de continuer son oeuvre avec la même clairvoyance et la même détermination. Stolypine vivant, la révolution aurait vraisemblablement été prévue et évitée, malgré la guerre ; mais le "destin", terme qui est ici synonyme de conspiration occulte, en avait décidé autrement. Nicolas II, en signant son abdication, aurait dit: "Si Stolypine avait été là, cela ne serait pas arrivé".
Le fait que, malgré vingt ans de bolchevisme, il reste encore aujourd'hui des traces de la réforme antisocialiste et anticapitaliste de Stolypine montre ce qu'elle aurait pu signifier pour l'avenir de la Russie, si elle avait été réalisée. Les forces qui ont détruit en Russie l'empire, la dynastie, la noblesse, l'ordre social traditionnel, ne sont pas encore parvenues à briser l'obstacle que constituent les restes d'une paysannerie relativement aisée de propriétaires privés, libres sur leurs terres: les millions d'hommes que Stolypine a libérés de l'esclavage des Communes rurales et dont il a fait des propriétaires indépendants en réalisant la première phase de son programme. Ils résistent encore avec ténacité au communisme et nourrissent un profond sentiment de révolte envers la dictature juivo-soviétique qui les oblige à mener une existence misérable ; ce sentiment portera ses fruits. Malynski dit: "Nous assistons donc à un spectacle intéressant. Il a été plus facile d'anéantir des siècles d'histoire que de détruire l'oeuvre récente d'un seul homme, qui n'a été au pouvoir que pendant quatre ans. Si la plus importante tentative de collectivisation de toute l'histoire échoue, l'ombre du grand créateur féodal, dont notre génération a presque oublié le nom, quarante ans après sa mort, aura vaincu. Le bolchevisme a facilement triomphé des vivants, mais ce mort qu'une balle juive ne peut tuer une seconde fois est son vrai danger. C'est la meilleure oraison funèbre que l'on puisse faire au ministre de Nicolas II, et c'est l'histoire qui la prononce devant nous, sur cette tombe oubliée".
Nous pensons donc qu'il n'a pas été inintéressant d'attirer l'attention de nos lecteurs sur cet épisode aussi important que peu connu de la guerre occulte, ne serait-ce que parce que Stolypine est en même temps le symbole d'une voie, la voie traditionnelle. Dans l'ordre spirituel et éthique comme dans l'ordre matériel et économique et pour tout ce qui a trait aux problèmes de la terre et de la propriété, c'est la seule voie à suivre pour une vraie reconstruction ; elle représente par là même l'objectif que, par tous les moyens, directs ou indirects, le front secret de la subversion mondiale a essayé, essaie et essaiera de plus en plus de rendre irréalisable.
Julius Evola
(cet article est paru dans La Vita Italiana en janvier 1939).
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1.Selon le témoignage de la princesse Palev, Lloyd George, à l'annonce de la première révolution russe et de l'abdication du tsar, se serait exclamé: "Un des buts de la guerre de l'Angleterre est atteint". Le tsar avait déjà eu l'occasion de protester auprès du gouvernement anglais du fait que le logement de Sir Buchanan, l'ambassadeur britannique, servait de lieu de rencontre aux révolutionnaires qui devaient ensuite former le gouvernement provisoire, mais en vain. Enfin, l'Angleterre, qui devait s'empresser de mettre à la disposition de l'Abyssinie un de ses navires de guerre pour embarquer le Négus, a trouvé le moyen de refuser au tsar, parent du roi d'Angleterre, l'aide qui lui aurait permis de quitter la Russie sous la protection du drapeau anglais et d'échapper ainsi au sort prévisible qui l'attendait.
2.Il s'agit des chapitres XVI-XVII de "La Guerre occulte", écrit par Malynski en collaboration avec le vicomte de Poncins, et c'est donc sur cette oeuvre que nous nous appuierons ici. Particulièrement important pour celui qui veut pénétrer les dessous des évènements historiques qui se sont déroulés de la Sainte Alliance au bolchevisme, il est sur le point d'être publié en traduction italienne par l'éditeur Hoepli.
3.L'expression est de Léon de Poncins, "La Mystérieuse Internationale Juive", Editions Beauchesne, Paris.
4.Il est à souligner que Lénine, égal à lui-même, décrit cet attentat comme "la mise à mort du pendeur en chef Stolypine" (Oeuvres, tome XVII, "Stolypine et la Révolution", décembre 1910 - avril 1912)