« Nous sommes aujourd’hui au milieu d’un monde de ruines. Et la question qu’il faut se poser est celle-ci : existe-t-il encore des hommes debout parmi ces ruines ? Et que doivent-ils faire, que peuvent-ils encore faire ? ». Par cette phrase, Evola dressait le bilan de l’après-guerre pas très éloigné du Kaputt de Malaparte.
Julius Evola s’est voulu guerrier (kshatriya) et non prêtre. Au même titre que Dumézil qui, en disciple de Fustel de Coulanges, fonde une ultra-Histoire et non une Histoire positive, le penseur italien est allé chercher les Lumières du Nord quand l’ancien disciple de Maurras a puisé dans les mythes ordonnés des indo-européens. Si « L’Idée doit représenter la vraie patrie », le nom de Servius Tullius sténographie la notion de souveraineté. Des origines troubles, le recours à la Fortune, la brigue de la louange du peuple, la volonté d’imposer un census qui fixe la hiérarchie sociale dans l’ordre des mérites et des blâmes. A l’autre pôle, l’affrontement avec le chaos et la sauvagerie des Luperques, aussi lorsque la souveraineté se défait se lèvent dans la satire et la parole injurieuse une nuée de poètes, ce que les irlandais appelaient le file devant lequel « lacs et rivières s’enfoncent quand il censure et se dresse en l’air quand il loue ! »
Dès lors, Julius Evola définit la politique comme « l’application des directives du supra-monde », il réintroduit donc la téléologie et les fins dernières, la politique est orientée vers la perpétuation de la vie bonne, elle ne peut être forme pure ou fonction, juste une dérivée.
L’Histoire est conçue comme un processus de régression des castes et la modernité comme identifiée au règne de Mercure donc des femmes et des affairistes, ce qui entraîne la montée des cultures gynécocratiques. Aux visions du monde et au règne de l’esprit succède l’intellectualisme froid et l’âme, siège des pulsions et des passions indifférenciées et indifférenciantes, à la royauté se substitue l’opinion. Cette âme Artaud a pu l’appeler un simulacre de mort, cet esprit, de la durée pure, une coupe mobile dans le flux du temps.
Pour Evola, la hiérarchie c’est la souveraineté du sacré, pour Durkheim le sacré, une simple projection de la société, son double éthéré, il n’ y a pas d’opposition plus tranchée. Or Evola tient de la Renaissance cette idée artiste de l’Etat où la nation, le peuple, l’ethnie sont une simple matière première à ordonner selon les lois du Haut et du Bas et de leur stricte séparation. Sans Etat, il n’y a pas de forme, juste une conjonction indifférenciée de matières inorganiques dont le marché assure la liaison.
De fait il n’y a pas d’Etat sans un Ordre au sens de la chevalerie, une société d’hommes régie par le secret, la distance et le service, une société d’égaux en dignité. Cette disposition, Evola la définit ainsi, « le sens d’une supériorité vis-à-vis de tout ce qui n’est que simple appétit de vivre […] le principe d’être soi-même, un style activement impersonnel, l’amour de la discipline », tous les traits des grands individualistes du XIXème siècle, ennemis de la société libérale et adeptes du devoir jusqu’à l’apologie des criminels dont Nietzsche avait fait les météores des grands hommes.
La polarité féminine, Evola la qualifie de chtonienne et infernale, « instable, hétérogène et nocturne », à la fois cyclique et illimitée, force qui arase et noie. Soleil contre lune, chevalerie contre sacerdoce, Evola affirme l’opposition irréductible de l’Initiation et de la prophétie, de la Tradition et de la Révélation, du culte et des signes. Ce qui est déjà le motif de l’Héliogabale d’Artaud cet empereur syrien qui mit tant d’ardeur à se faire enculer par des cochers. Aussi Evola en vient à la description du symptôme « la diffusion pandémique de l’intérêt pour le sexe et la femme, caractérise toute époque crépusculaire », le totem pourrait en être Freud associant judéité et féminité dans un même règne de la quantité, au terme d’une évolution où l’indo-européen ne serait plus que résidu.
De fait, L’aristocratie ne peut être engendré et ne peut engendrer selon Evola puisque « l’idéal d’une société d’hommes ne saurait être, celui paroissial et petit-bourgeois, qui consiste à avoir une maison et des enfants », l’aristocratie reste une machine de guerre, le déploiement d’un asservissement, celui du profane au sacré.
Julius Evola a donc inventé un mythe réactionnaire à partir duquel il constatait que « n’existe plus rien, dans le domaine politique et social, qui mérite vraiment un total dévouement et un engagement profond ». En stoïcien d’un nouveau genre, Evola appellait à bâtir la forteresse intérieure du héros silencieux dépourvu d’actions, cette patrie « qu’aucun ennemi ne pourra jamais occuper, ni détruire ».